23.04.2015

Lacune – Mot du jour

Le mot « lacune » vient du latin lacuna qui signifie « trou » ou « fossé ». Ce mot a d’abord été utilisé pour décrire des trous dans des textes ou des manuscrits et est apparu dans une citation de Sir Robert Moray dans les Lauderdale Papers (1884) où il écrivit : « You do well to leave no lacunas in your letters » (Vous avez raison de ne pas laisser de lacune dans vos lettres). Depuis, ce mot a souvent été utilisé en anatomie et en science physique pour décrire un vide, un espace ou une cavité ainsi qu’en droit pour décrire l’absence de principe ou de norme d’une loi.

Les traducteurs n’échappent pas aux lacunes.

En linguistique, les lacunes correspondent à un vide lexical ou à l’« absence d’objet lexical dans la langue alors qu’il existe un concept dans la sphère conceptuelle avec une verbalisation zéro » (Journal of Education Culture and Society No.1, 2013, p. 169). La « théorie des lacunes » a été imaginée par Yuri Sorokin, un professeur russe, et approfondie par le Professeur Irina Markovina dans le domaine de recherche de l’ethnolinguistique, qui étudie les relations entre la linguistique et le comportement culturel. De nos jours, les traducteurs peuvent l’étudier lors de cours sur la théorie de la traduction. Il s’agit d’étudier la meilleure façon de traduire des mots, expressions ou concepts d’une langue source qui n’ont pas d’équivalent exact dans la langue cible.

Le mot japonais nureochiba est un exemple intéressant de lacune ou vide linguistique qui se pose en traduction. Sa traduction littérale est « feuille humide tombée », mais puisque les traducteurs traduisent un sens et pas des mots, il convient de comprendre l’origine culturelle du mot pour en proposer une bonne traduction…

Les hommes japonais sont connus pour les longues heures qu’ils consacrent chaque jour à leur travail, ce qui leur laisse peu de temps pour leurs loisirs ou leur famille. Avec un mari souvent absent, l‘épouse apprend à s’adapter et à vivre sans son mari et à ne compter que sur son salaire et pas sa compagnie. Quand le mari prend sa retraite, il se retrouve soudain propulsé dans la vie de famille, luttant pour trouver sa place dans ce nouveau style de vie où le temps libre ne manque pas. L’épouse, qui a pour ainsi dire vécu seule pendant de nombreuses années et s’y est adaptée en élevant ses enfants, vaquant à ses occupations et passant du temps avec ses amies, se retrouve à partager une maison avec un homme désigné comme son « époux ». Mais quel mot utilise-t-elle pour le décrire ? C’est un nureochiba. Il colle à sa chaussure comme une feuille humide tombée dont elle ne peut pas se défaire et qui la suit partout.

Lorsque les traducteurs tombent sur le mot nureochiba, ils doivent trouver des stratégies pour combler la lacune ou vide linguistique. Ils ne peuvent pas traduire le mot littéralement et une explication complète de l’origine culturelle pourrait nuire au rythme du texte. Ils doivent donc trouver une méthode adaptée pour véhiculer le sens dans la langue cible.

Les lacunes sont un domaine fascinant de la linguistique qui souligne le fait que traduire ne consiste pas seulement à traduire des mots, mais aussi du sens et des concepts culturels.

Et vous, comment traduiriez-vous nureochiba en français ?